Michel-02
Retour à la
bibliographie




POÈMES       1984 –  1993




PAR LA PORTE
DU SANG

Porte-sang

Avec des ilustrations de
Manu Van De Velde
Autoédition, 1984
Bruxelles


       de petites gouttes abreuvent des rivières de sang

        les rivières de sang  gonflent les veines
        et
        les fleuves ainsi rougis se perdent dans la mort

                                    *

        on se creusera comme des bénitiers dans des bols de
        terre rouge

                                  *

        on fera venir la pluie que tu béniras de ta bouche
        on se rougira l’envers des chairs pour mieux repousser
        nos matières en feu

                                  *

        mais   jamais
        jamais on ne rendra sans l’avoir fouillée de toutes
        parts la houille de ces troncs disparus que nous serons
        demain

                                  *

        qu’entre toutes les femmes
        tu sois encore une autre
        et bénie
        et chantée
        par les tisons du ventre
         
Ce grand désordre où je nous vois   quelquefois

          dans un écartèlement qui nous ramène à des
          sanguines   à des couronnes de Jésus   c’est
          peut-etre le passage de a vague alors que
          moussent encore de petits coquillages léchés
          comme des seins

                                   *

          Bassin craqué   digues rompues

              Il peut pleuvoir
              sur mes cols refermés

              jamais

              je ne serai lavé de tout


Seize recueils de poèmes, en vingt-cinq ans, ont installé Michel Joiret dans une région bien à lui de la poésie française de Belgique, entre ces écrivains, assez caractéristiques de notre temps, qui veulent réduire le texte poétique à ses virtualités expressives sous les formes les plus condensées, les plus épurées, et ceux qui. tout au
contraire (mais ils sont plus rares, aujourd'hui. chez nous), savourent et veulent nous faire savourer une espèce de symphonie du verbe.
On remarquera par ailleurs, chez ce bon poète, le goût des images liées ou empruntées au quotidien, faites de notations concrètes et souvent très actuelles. Michel Joiret ne se pose ni en visionnaire ni en ascétique introverti : il entend, apparemment, traduire son expérience en des termes qui font la part belle à la sensibilité et à la sensualité. Et il le fait fort bien.
Jacques-Gérard Linze
La Revue Nouvelle


LES ENCRES DE CHINE

Encres-Chine

Alliance Française en Hainaut
Mons, 1985
58 pages



LE DÉSORDRE
DES CHOSES


Désordre choses

Préface de Werner Lambersy

Alliance Française
en Hainaut
Mons,1987

58 pages

   Le bonheur est la boîte noire d’un avion
     englouti

     L’ouvrir serait soumettre l’homme au mal
     des profondeurs

                            *

     Se taire avec des flocons de silence
     au milieu des autres

     Entendre neiger les paroles
     et les voir fondre sous les dents

     Chercher la langue humide   seule
     celle qu’auront dénouée les salives
     au seuil précaire du baiser

                          *

     Choisir    dans le panier d’un cul la pitance du diable

     et vivre comme un ciel dans les draps des nuages
     
     tout est là mon enfant que je fais sans le dire
     et ma mère est bien morte de n’en avoir rien su

                          *

     Il n’y a plus de littérature
     les livres sont bagués pour des voyages ultérieurs
     et encore    quelques tireurs d’élite au passage
     éliminent la deuxième édition    un dernier jeu
     lèvres fermées répéter sans jamais dire

     les femmes savantes
     les fleurs du mal
     la condition humaine
 
        


UNE HORLOGE
À LA MER


Horloge-mer

4° de couverture par
Marcel Moreau

Le Pré aux Sources
(Ed. Bernard Gilson)
Bruxelles, 1989

ISBN 2-87269-006-9
76 pages



LES YEUX VERTS

Yeux-verts

Graphisme de couverture:
Manu Van De Velde

Le Non-Dit
Collection "Nuances"
Bruxelles, 1991
68 pages

Ils ont vidé mes poches… Entre les dents, je n’avais pas un signe ; rien que la mer dans les oreilles… Et juste à la largeur de la lame, la cuisse n’avait qu’un flux grenat sans la moindre écriture… Mon ventre les a fait rire sous le coup le plus fort : « Qui êtes-vous ? » Rien, une interrogation peut-être… » Les coups ont redoublé, on m’a ouvert l’autre cuisse, là où je n’avais rien écrit non plus… A la fin, je n’avais plus qu’un mot à la bouche ; il s’est posé sur toi et je me suis envolé…

Je pelucherai dans vos souvenirs,
Surtout,
Ne passez pas la main dans mes images…

JE n’a pas survécu, JE n’a pas été celui que je croyais, JE n’a plus d’allumettes pour se chauffer, JE les a toutes brûlées dans d’inavouables jeux de jambes, JE n’a même plus la considération que je lui ai portée, JE s’en va dans le silence que je lui jette, JE retire ce que j’ai dit, JE n’a rien dicté de ce que j‘écris au dedans…

         
Soleil aux mèches de henné
Qui parfumes la nuque
des femmes

et retiens le désir
par le cordon du crépuscule

étiré comme
le drap qui sèche, dépeigné
sur le balcon des chambres

*

La tasse où le temps fume
On dit :

C’est le velours bouillant du thé

*

Ici,

je veux dire là-bas,
c’est comme si
je soufflais
ma propre crémation


ORIENT ROUGE


Orient rouge

Le Non-Dit
Collection "Boîte aux Lettres"
Bruxelles, 1993
72 pages

Les poètes ne courent pas les rues, mais ceux qui osent laisser courir leur cœur sur le papier jouent un rôle majeur. Les poètes chantent pour ceux qui ont mal à leur sensibilité. Ils nous aident à mieux voir, entendre, percevoir le chant profond du temps qui s'écoule, indifférent au bruit et à la fureur du siècle.
Alors la force des poètes traverse le temps (…)
En préface des poèmes récents de Michel Joiret, Werner Lambersy donne deux ou trois clés pour le « Désordre des choses ».
- « Un petit air siffloté, soudain nécessaire, l'air désinvolte avec entre les lèvres la tige un peu arrière et mâchouillée d'une herbe qu'on ne saurait nommer et qu'à défaut, on appelle poésie... »

Un texte qui n'a pas froid aux mots

J'ouvre le livre et sur la page blanche se détachent ces mots qui donnent envie d'embarquer à bord de l'imaginaire de Joiret.
« Le bonheur est la boîte noire d'un avion englouti. L'ouvrir serait soumettre l'homme au mal des profondeurs »,
La suite nous plonge dans un monde tumultueux où le lecteur glisse sur des mots gonflés à bloc. Joiret parle des grands problèmes de l'époque et, en contrepoint, dessine des images fugaces, celles que nous rencontrons tous les jours.
« II quitte te petit théâtre rond les cônes de lumière font danser les poussières excitent le quatrième rang debout à applaudir avec les bagues à cliqueter de vagues colliers vagues mais luisants de petits cailloux sur les seins mous. »
Au fond, le poète est féroce, quand il passe le cap de sa tendresse. Il observe le monde, ses us et coutumes, à la manière d'un anthropologue dont la métropole serait l'humour détaché.
Plus loin encore, on lit...
« II s'assied dans une flaque d'eau au milieu de la rue, les passants font relâche et regardent sans rire le jeune homme curieux qui fouille dans sa poche en retire des bouts de verre et les aligne au pied d'un réverbère. »
Dérision, pirouette, les mots sont libres, le poète les happe au passage de ses fulgurances.

La patte d'un chien mort

Joiret descend dans la mémoire, se souvient...
« Rendez lui la patte de son chien mort le cahier d'algèbre le mûrier du fond du jardin le petit wagon vert du train mécanique son premier mot les courses sur la moquette grise et la nuit d'orage où les marronniers le regardaient au front avec des torches électriques. Tout ce qui a été n'a pas été vraiment.. Être le seul à le savoir le rend à jamais inconsolable. »
(…)
Ne pas mourir entre deux gares avant d'avoir craché sa lave dans la source de l'autre ».

Et le voyage continue, par la fenêtre du compartiment-poème, le lecteur s'oriente dans un texte qui n'a pas froid aux mots. Et, au fait, c'est chose rare. Une bonne chose, dans le « désordre des choses » que nous montre Joiret.

M.L